PEOPLE, PLANET, PROFIT : CRÉER UNE NOUVELLE REALITÉ POUR LE TOURISME

L’Université d’Exeter (UoE), Campus de Cornouailles a organisé une série de webinaires sur la triple performance qu’une entreprise cherche à atteindre : Personnes, Planète, Profit (PPP). Le 10 décembre 2020, Dre Laura Phillips (Maitre de Conférence pour l’Ecole de Commerce de l’UoE et membre du Projet VISTA-AR) fut invitée en tant qu’oratrice principale à présenter le séminaire en ligne « Créer une nouvelle réalité pour le tourisme », auquel 39 représentants d’organisations corniques ont participé. Le webinaire portait sur comment la technologie RV/RA peut aider les entreprises touristiques, notamment PME, à augmenter leur valeur tout en réduisant l’impact de la pandémie.

Les nouvelles modes en matière d’expérience visiteur, au vu de nombreux médias touristiques existants, peuvent se résumer à 3 tendances : un tourisme expérientiel, la personnalisation & accessibilité des expériences aux visiteurs et un tourisme responsable /durable/écologique.
– Le Tourisme expérientiel prend en compte de fait que, plutôt qu’une simple observation, les visiteurs sont à la recherche d’expériences, d’une interaction suscitant engagement et émotions.
– Car parfois un modèle standard ne répond pas aux besoins de chacun, le concept de Personnalisation et d’accessibilité implique d’offrir quelque chose allant au-delà d’une norme de base, qui est adapté aux désirs du client.
– Le Tourisme responsable/durable/éco (RSE) incluent notamment la réduction de l’empreinte carbone ou du type d’énergie utilisé et de la manière de l’expliquer aux visiteurs, etc. Par « Durabilité », il faut entendre impacte environnementale mais aussi du tourisme sur les cultures, les économies, les personnes, les sites et les destinations que les gens visitent. La pandémie a accéléré cela, entrainant des changements comportementaux de la population dans leur rapport à l’environnement naturel et social, favorisant des visites en extérieur, locales, et de facto développant leur intérêt pour le patrimoine culturel.

Les tendances sont nombreuses en matière de technologies, dans le domaine du tourisme : reconnaissance vocale, IA, apprentissage machine… Il y a notamment la RV (comme la visite à 360 degrés in situ pour une exposition spécifique ou à distance) qui être très utile dans une phase de décision pour les visiteurs, et la RA, qui combine le monde réel avec des éléments virtuels et peut permettre de voir les objets dans leur apparence originale probable. L’année dernière, Mintel a réalisé une étude sur les attractions touristiques au Royaume-Uni en 2019 : ils ont interrogé plus de 1500 internautes et ont constaté que pour ceux qui avaient visité une attraction au cours des 12 derniers mois, seuls 10% d’entre eux avaient pris part à une technologie interactive quelconque et seuls 12% avaient effectué une visite audio. Bien que ces technologies soient de plus en plus répandues, leur utilisation réelle est encore en cours de développement. Une des raisons tient du fait que beaucoup d’organismes/sites sont très sceptiques quant au coût de cette technologie, sa longévité, son caractère pratique, le fait qu’elle enrichisse ou non une expérience. La RA est devenue plus abordable financièrement et techniquement, avec de plus en plus d’organisations proposant à leurs membres d’accéder à leur système de gestion de contenu pour créer une application. Mais dans l’ensemble, le coût de ces technologies n’est pas fixe et dépend notamment des ressources du site en matière de contenu. L’objectif de VISTA est de voir comment intégrer ces technologies dans le tissu du modèle économique d’un site ou musée, créer des opportunités, augmenter la clientèle, et apporter de nouvelles sources de revenus qui pourraient soutenir la durabilité et la préservation des sites.
Le « modèle économique » est un cadre qui répond à 3 questions fondamentales : Qui est le client ? Quelle est la valeur qui leur est proposée et comment créer cette valeur à travers l’expérience visiteur ? Comment en tirer profit en tant qu’organisation?

L’étude Visit Britain Study (‘COVID-19 Consumer Sentiment Tracker‘) réalisée en août 2020 démontre que depuis cette première période de fermeture des lieux touristiques en mars 2020, la façon dont les visiteurs font l’expérience des sites et les défis auxquels les entreprises sont confrontées ne sont plus les mêmes. Les prévisions générales sont que, à partir du printemps/été prochain, la confiance des visiteurs augmentera et que les gens seront de plus en plus enclins à sortir, à visiter les sites et à voyager, dans leur propre pays. Mais malgré tout, au cours des 3 à 5 prochaines années il y aura toujours une sorte d’attentisme en ce qui concerne la façon dont les visiteurs vivent les sites, ce qui invite à penser à comment aborder le tourisme sur le long terme. A l’heure actuelle certains des facteurs importants qui influencent la prise de décision des consommateurs sont la flexibilité de la réservation et la capacité d’annuler gratuitement, les mesures de sécurité et d’hygiène de base (port de masque, l’assainissement, la désinfection et la distanciation sociale) mais aussi la technologie sans contact telle que le paiement sans contact. VISTA a commencé à travailler sur des moyens de permettre aux gens de profiter de la RA/RV sans décourager les visiteurs : le BYOD (Apporte ton propre équipement) ou l’accès à la technologie depuis chez soi.

Le défi de VISTA-AR, est d’adapter la technologie a des types de sites aux objectifs et contraintes très différents, certains sites sont dans un lieu fermé (tel que la cathédrale d’Exeter ou le Musée sous-marin de Lorient), d’autres en extérieurs et sans restriction (tel que le SWCP). Plusieurs outils ont été mis au point avec les sites partenaires, dans le cadre du projet, afin de partager avec d’autres organismes post projet :
– Le Tableau de Bord VI (Intelligence Visiteur) pour lequel des technologies ont été utilisées, non seulement pour améliorer l’expérience des visiteurs et mieux les comprendre. Les différents outils utilisés, pour ce faire, sont le suivi géospatial et l’analyse de texte.
– Le « Workbook » sur le modèle économique d’innovation qui est un manuel qui explique à un site comment comprendre son modèle commercial actuel, comment concevoir et développer une interprétation autour du patrimoine du site, la transformer en technologie, voir comment cela s’intègre dans la prestation de l’expérience du visiteur, et aussi si et comment faire payer. Cela comprend tout ce processus de conception, de mise en œuvre et d’innovation d’un nouveau modèle économique.
– Les outils RA/RV : il s’agissait de créer divers outils (appli et contenu numérique) en vue de réduire le coût de ces technologies pour les sites et faciliter le développement des deux technologies.

 

VISTA travaille notamment depuis 3 ans avec le National Trust sur le développement et l’implémentation de ces technologies sur 2 sites miniers en Cornouailles : la Tin Mine de Botallack [1] et la Mine d’East Pool (patrimoine mondial minier de Cornouailles/UNESCO), dont Cristina Mosconi (Post-doc a l’UoE) a présenté les études de cas. La première étape était d’analyser l’Intelligence Visiteur (ou le recueil d’informations sur les visiteurs) de ces deux sites pour trouver la technologie la plus adaptée, cibler un nouveau public en harmonie avec les besoins des sites et communautés locales.

L’une des grandes questions qui se posent ici en termes d’interprétation est de montrer à quel point les sites sont différents aujourd’hui de ce qu’ils auraient été à l’apogée de l’industrie minière, il y a deux siècles. Comment créer quelque chose d’attrayant pour le visiteur et de durable pour la communauté locale et le site ? C’est là qu’intervient le lieu de transformation numérique. VISTA a utilisé un outil la « Datasphère » afin de définir le voyage du visiteur. Il s’agit d’un cadre panoptique, avec le visiteur en son centre, illustrant les données qu’ils génèrent dans une approche plus large des sites. En effet, le cœur de la conception d’une interprétation est la compréhension du profile des visiteurs (Qui ?), d’où ils viennent et où situer l’attraction (Où?), les raisons pour lesquelles ils visitent ce site (pré-visite) et quel message le site veut-il leur transmettre (Pourquoi ?). C’est l’approche utilisée pour les sites du NT.

Une application RA a été développée pour Botallack qui offre la possibilité, en pointant une tablette sur une reconstitution 3D en pierre du paysage actuel, de voir à quoi ressemblait le paysage minier extérieur et les souterrains dans les années 1860. Pour East Pool, une expérience de RV a été créée soit un modèle 3D virtuel de la mine (reconstitution fidèle historique) pour permettre au visiteur de vivre une expérience sensorielle immersive, soit une visite virtuelle de la mine avec casque RV.

La technologie intervient ici pour répondre à plusieurs problématiques : proposer une reconstitution précise du paysage historique, améliorer l’accessibilité aux caractéristiques et aux zones perdues ou difficiles d’accès par l’exploration numérique, et informer le visiteur sur les éléments clés de l’identité culturelle locale. La livraison des 2 expériences – AR et RV – est prévue pour le printemps 2021, suivies d’une phase d’évaluation et d’analyse de l’expérience utilisateur et de la facilité d’utilisation, ainsi que l’impact sur les recettes et l’expérience des visiteurs. De plus, afin de minimiser l’impact de la pandémie sur les sites, VISTA a entrepris de « traduire » lapplication RA en une expérience en ligne (lisible sur PC, à distance) pour inciter les personnes à se rendre sur site dès que cela sera possible mais aussi l’utiliser comme outil de communication en post-COVID. Il s’agit d’une vidéo à 360° avec une option « vue en plongée avec cadre narratif » et une version « exploration » (interactive).
          [1] Pour plus d’information sur la Tin Mine, lire article « Cibler de nouveaux publics en utilisant la technologie immersive« .

 

Dr Phillips a ensuite présenté l’étude de cas de la cathédrale d’Exeter [2] dont l’objectif principal de la cathédrale était d’augmenter le nombre de visiteurs et leurs revenus, et d’améliorer leur expérience ; la question de l’accessibilité et des espaces cachés devait également être prise en compte.

4 dispositifs ont été créés pour répondre à cette seconde problématique relative au manque d’accessibilité:
– 3 écrans interactifs tactiles, avec le contenu numérisé des livres originaux de la « Bibliothèque et Archives » ont donc été installés sur site.
– Parce que la visites des toits de la cathédrale n’est pas accessibles à tous, une représentation en réalité virtuelle des toits a été réalisée. Il existe deux versions : l’une est une vue à 360 degrés du sommet d’une des tours. L’autre VR, appelée « la marche de la foi« , est une expérience où l’on a l’impression de marcher au sommet de la cathédrale à partir d’une des tours, sur une planche (réelle).
– Parce qu’il est rare de pouvoir écouter les représentations de la Chorale de la Cathédrale, une RV du Chœur a été réalisée pour permettre de profiter de 3 représentations de la Chorale virtuellement, grâce au port d’un casque RV, tout en étant assis dans les stalles.
– La Galerie des de Ménestrels est en hauteur et très difficile à voir. Aussi, un court clip vidéo en RA de la galerie a été réalisée dans laquelle les statues de anges s’animent et jouent de leur instrument de musique moyenâgeux.

De plus, 2 dispositifs ont et mis au point pour accroître le nombre de visiteurs et les revenus :
– Une application RA gratuite à télécharger sur téléphone reproduisant la Façade Ouest de la cathédrale avec ses couleurs d’origines pour inciter les gens assis sur le parvis à entrer et visiter le bâtiment.
– Une application audiotour sur une tablette permettant aux visiteurs de bénéficier d’une interprétation et d’une visite organisée autour de différentes expériences. Avec le temps, l’idée est de créer différents circuits, de raconter différentes histoires et d’essayer d’encourager les gens à visiter plusieurs fois la Cathédrale.

Des outils technologiques ont aussi été mis au point pour mieux comprendre les visiteurs, leur comportement, leur interaction avec le site et sur la manière dont cela pourrait aider à concevoir la façon d’intégrer ces technologies RA/RV. Une étude sur l’avant, le pendant et l’après visite :
Pré-visite : grâce à des enquêtes, il est possible de dresser le bilan démographique des visiteurs (socio-démographique : âge, sexe), de leur provenance (touristes locaux, d’autres régions, d’outre-mer…) et aussi psychographique (motivation des gens à visiter et comment cela peut affecter leur comportement lorsqu’ils sont dans le site et comment ils le vivent).
Pendant la visite : il y a un suivi géospatial, via une application, avec des positions cartographiées par GPS, champ magnétique ou par des balises et capteurs. Ces différents moyens indiquent où les gens vont, quel chemin ils prennent, combien de temps ils passent dans les différentes parties du site. Le suivi oculaire, pour lequel les visiteurs portent des lunettes spécialement conçues, permet de voir ce que les gens regardent, combien de temps ils regardent quelque chose. Un autre outil utilisé est l’analyse de texte ou traitement du langage naturel il s’agit d’analyser le langage employé dans les commentaires laissés en ligne sur des sites dédiés (tels de TripAdvisor).

Bien que cela n’ait pas encore été utilisé à la Cathédrale, d’autres formes de réponse physiologique sont à l’étude comme la mesure de la conductance de la peau et la variation du rythme cardiaque.

Après la visite : de manière traditionnelle, des questionnaires pour avoir un retour direct sur leur expérience est remis aux visiteurs à l’issue de leur visite.
En comparant les informations fournies lors de ces 3 étapes, il est possible d’avoir une idée de comment la conception de ces expériences technologiques affecte la façon dont les gens les évaluent et communiquent sur le site a posteriori, de comparer leur opinion avant et après introduction des technologies, de réfléchir au voyage du visiteur et au modèle économique du site.

Pour illustrer en images ces propos, Laura Dixon, Chef de projet pour VISTA-AR, a fait une démonstration en direct du Tableau de Bord VISTA avec les données de la Cathédrale, donnant une idée du type de renseignements qu’un gestionnaire du site pourra obtenir sur son site.

Le Tableau de bord comprend une section Analyse de Texte/des commentaires visiteurs et des sentiments qui s’en dégagent et une section Profilage numérique, basé sur la géolocalisation des visiteurs donnant notamment une idée des itinéraires et points d’intérêt les plus populaires.
Le suivi géospatial pourrait devenir encore plus utile dans le climat actuel pour gérer les flux de personnes autour du site avec distanciation sociale et d’éviter la foule ou les files d’attente. 
S’il est important de satisfaire le visiteur et l’inciter à venir sur site, la question de la rentabilité/viabilité est prioritaire. C’est pourquoi, à la cathédrale, une brève étude du PSM (Price Sensitivity Meter) a été menée, proposant un échantillon de ce qui pourra être offert en termes d’expérience RA/RV, environ 100 visiteurs pour savoir combien ils seraient prêts à payer pour cela. A la fin, cela permettra de déterminer un prix « optimal » (le point où la majorité des gens ont trouvé un prix acceptable) et une fourchette de prix « acceptable« . Evidemment la variation du montant dépend du public, du site et de l’interprétation. Le constat est qu’avec l’application de visite, la plupart proposerait un paiement supplémentaire pour un guide audiovisuel sur tablette. Il existe plusieurs modèles de revenus, avoir une entrée gratuite mais payer pour les expériences numériques, avoir un prix intégré, etc.
Les expériences en ligne sur lesquelles VISTA travaille actuellement feront aussi l’objet d’une étude sur l’influence que cela pourra avoir sur la volonté de payer pour ces expériences mais aussi sur l’intention de visiter le site qui est en fin de compte l’objectif premier.
          [2] Pour plus d’informations, lire article « Etude de cas – cathédrale d’Exeter«